Jeanne : L'art de vieillir au Théâtre du Petit Saint Martin
20 oct. 2017S'il est des artistes qui nous accompagnent tout au long de nos vies, Nicole Croisille en fait incontestablement partie. On a tous en tête une de ses chansons. Mais depuis quelques années, c'est au théâtre qu'on la croise le plus souvent, comme au Théâtre du Petit Saint Martin, où elle joue actuellement Jeanne, une pièce de Jean Robert-Charrier.
Il suffit d'en discuter autour de nous pour savoir que vieillir fait peur. Peur de perdre ses moyens et son autonomie... Peur de la solitude... Peur de perdre une certaine impertinence que l'on associe trop souvent à la jeunesse.
Et pourtant on se souvient tous du portrait de la vieillesse, livré au vitriol par un Etienne Chatillez, dans sa Tatie Danielle, immortalisée par une Tsilla Chelton qui était pour le moins sans filtre.
Jeanne est ce genre de personnage qui vous marque et qu'on ne peut oublier.
Jeanne est une vieille dame de 80 ans, qui vit dans son petit appartement au 28ème étage d'une tour parisienne. Elle ne supporte rien, à commencer par ses voisins qui font du bruit, et qui ont le culot de sortir.
Son franc parler a fini par l'isoler et à l'enfermer dans une forme de paranoïa. Elle qu'on a mise à la retraite; alors qu'elle était la meilleure des employées de son services, découpe soir après soir les magazines et autres prospectus, pour que personne puisse dire qu'elle les jette, alors qu'ils ont été gentiment déposés dans sa boite à lettres...
Jeanne c'est la bénéficiaire idéale du service d'aide à la personne décidée par la mairie d'arrondissement à quelques mois des élections et porté à bout de bras par Anne Legal.
D'abord réticente, elle finit par accepter qu'on lui livre des plateaux repas. C'est ainsi que Marin fait son entrée dans la vie de Jeanne. Entre le jeune livreur et la vieille dame s'installe un jeu où chacun va découvrir l'autre sous sa carapace.
Jeanne va finir par faire confiance à Marin et à se livrer. Et c'est le quotidien de la vieille dame qui sera bouleversé par cette rencontre...
Cette pièce oscille entre comédie et drame. On rit en effet beaucoup aux répliques cinglantes de Jeanne. Elle a un avis sur tout et ne supporte pas qu'on lui sourit bêtement parce qu'elle est vieille et seule.
On s'émeut aussi en voyant la relation évoluée entre Jeanne et Marin. Ce sont deux solitudes qui se répondent et sont à l'origine d'une certaine forme d'amitié.
Le texte de Jean Robert-Charrier est d'une justesse incroyable et dépeint les travers de notre société, où l'on se cottoie sans vraiment se connaitre, où la politique se sert des situations à des fins électorales, plutôt que de trouver des solutions sincères.
La mise en scène et la direction de Jean-Luc Revol apporte beaucoup à la qualité de ce spectacle. Il excelle dans l'art des trouvailles. Comme par exemple, le fait que Jeanne soit déjà sur scéne lorsque le public pénètre dans la salle.
Et la distribution est tout aussi exceptionnelle. A commencer par Florence Muller. Elle est parfaite dans ce rôle d'Anne Legal, cette femme politique qui manie tellement la langue de bois, qu'elle éprouve des difficultés à prononcer certains mots.
Charles Templon, est un Marin, à la fois drôle et touchant, tant il cherche à comprendre Jeanne et ce qui se cache derrière ce faux-semblant de méchanceté et de dureté.
Et que dire de Nicole Croisille? Elle est dans la vie l'opposée de Mademoiselle Jeanne Renaud. Elle n'en est que plus convaincante dans sa prestation. Avec sa perruque aux cheveux blancs, son chignon sévère et ses lunettes, elle est méconnaissable pour ne laisser transparaitre qu'une vieille dame à la personnalité complexe, meurtrie par tant de blessures et de failles, qu'on découvre peu à peu. On a cette impression que le rôle est fait pour elle et elle le lui rend bien!
C'est une grande actrice qui se glisse à la perfection dans le rôle titre et qui prouve une nouvelle fois qu'elle est bien plus qu'une chanteuse qui passe à la comédie... De la trempe d'une Annie Girardot avec son jeu naturel, la pièce n'aurait pas élé la même sans elle.
A noter également la présence de Geoffrey Palisse, qui dans un rôle plus discret marque la fin de la pièce d'un dénouement auquel on ne s'attend pas.
Le Théâtre du Petit Saint Martin a, on le sait, une programmation qui donne la part belle au théâtre contemporain, et fait souvent office de laboratoire.
Jeanne y est donc parfaitement à sa place.
En sortant de la salle, on prend une grande bouffée d'oxygêne, avec cette sensation que la vieillesse n'est finalement pas ce mal absolu, mais une étape de la vie qui peut apporter beaucoup pour peu que l'on s'ouvre au monde qui nous entoure.
Décidément, les 19 heures des théâtres cette saison sont d'une qualité incroyable!
Jeanne, de Jean Robert-Charrier, mise en scène de Jean-Luc Revol, avec Nicole Croisille, Charles Templon, Florence Muller et Geoffrey Palisse.
Au Théâtre du Petit Saint Martin, 17 rue René Boulanger 75010 Paris, du mardi au vendredi à 19hoo, le samedi à 16h30 et 21h00.